[spectre] Après Pasolini sur France-Culture

Louise Desrenards louise.desrenards at free.fr
Wed Oct 19 23:57:00 CEST 2005


Sorry of french spoken

Et si en son temps l'extrême gauche activiste italienne n'avait pas été
assez attentive dès 1975, pour la prédiction du sort qui allait lui être
attribué, au
sens du meurtre de Pasolini ? Pourquoi ? Parce qu'il avait été piégé dans le
cadre de son désir homosexuel ?  Et aujourd'hui, pourquoi les listes
italiennes rechignent à parler de Pasolini ? Parce que la gauche activiste
était passée à côté du sens politique de ce meurtre et qu'il n'est pas bon
d'en reparler en pleines manoeuvres électorales ?

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Pardon pour le français.

"Les carnets rouges de Pier Paolo Pasolini" / toujours en ligne sur Radio
France Culture

de Louise Desrenards



    *Emission géante sur l'Italie des années de plomb et le devenir du
fascisme toujours vivant reconverti... Documentaire de création d'une durée
de 1h avec citation d'archives intégrales et interviewes actuelles, suivi
d'un débat de 1/2 heure.2.

Au moment où un renouvellement politique du gouvernement italien paraît de
nouveau possible (mais sera-t'il plus ouvert sur les questions des libertés
fondamentales pour accorder l'amnistie aux prisonniers politiques ?), il n'
est pas vain de revenir sur le sens de la mort de Pasolini et ce qui y
succéda.

Cette émission de radio bilingue Franco-Italienne du mardi 4 octobre demeure
accessible en ligne dans le site Internet de France Culture, à la page de la
série "Le vif du sujet", en cliquant sur "archives", puis en faisant votre
sélection dans le sommaire des archives.

www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vifdusujet/

Ne ratez pas le début du pré-générique, c'est Pasolini qui parle (extrait de
La rage).

L.


**********************

Sens, fascination, intensité, passion, beauté - au sens Baudelairien -,
terreur - au sens tragique - il y a de tout cela dans cette émission qui
sans doute en choquera certains mais pourtant ne pouvait dire autrement le
politique du fait divers de la mort, sinon en cherchant le sens de l'auteur
de Salo...

Ce film, il en mourrut probablement (comme si l'oeuvre périlleuse au long d'
une vie de procès et d'attentats reçus, conçue comme un destin, arrivait par
là à son propre terme), quand on sait que le tournage lui-même faisait
craindre l'évocation du gouvernement ultime de Mussolini, mis en abîme par l
'enfer de Dante chez le cinéaste, ce gouvernement tardif pendant que les
américains déjà à Rome ne s'en tourmentaient pas vraiment (et même
fusionnant avec, pour la branche active de Gladio - aujourd'hui descendance
autrement active au pouvoir de l'Etat. Au point que pendant la production du
film, le matériel fut dérobé et probablement pas que pour de l'argent : pour
empêcher le film de se poursuivre, d'apparaître - d'exister (si j'ai bien
compris l'émission et la suite en débat...) puis rendu quasiment
gratuitement : était-ce juste un signe pour dire que le problème se
règlerait plus tard et de toutes façons ?

Environ 8000 prisonniers politiques demeurent aux oubliettes de l'identité
du pouvoir dans les geôles de l'Italie, en 2005. La commission européenne
présidée par Prodi - considéré aujourd'hui comme potentiel unificateur d'un
gouvernement de gauche dans ce pays - ne fut pas davantage favorable au
rétablissement de la justice politique, notamment pour les Italiens, mieux c
'est sous son règne européen que les demandes d'extradition à la France s'
accélérèrent.

Le meurtre de Pasolini, suivant de quelques années l'accident terroriste
maquillé de l'éditeur Feltrinelli, la défiguration du poète, son visage
martelé en chair comme les intégristes religieux martelèrent les icônes en
relief, (ce qui entraîna au contraire de le rendre plus résistant au-de là
de sa propre vie), ce fut le commencement de la fin pour tous, jusqu'ici.

On aurait aimé entendre, au débat qui suit ce documentaire de création, la
citation d'un fait : les prisonniers politiques en Italie d'aujourd'hui,
incarcérés et maintenus ad vitam aeternam comme tels par la même
magistrature que celle qui traita l'enquête sur la mort de Pasolini. Débat
néanmoins bien mené face à un auteur don le livre n'est pas encore paru, qui
semblait tout savoir mais n'avait pas tout retenu - dont quelques points
essentiels et justement : les plus politiques.

Pourtant, ce qui ressort en événement de ce documentaire et du débat qui
suit, c'est à l'image de l'évocation par la psychanalyste disant la naïveté
de la défense de Pasolini, quand il répondait aux juges sur ses pratiques
sexuelles avec des post-adolescents à l'égale d'une "l'expérience
littéraire", c'est - en tant qu'auditeur-trice, prolongeant ce point de vue
jusqu'à la mort du poète -, cette horrible mort elle-même comme totalité de
"l'expérience littéraire" elle-même : l'oeuvre critique radicale,
socio-politique comme poétique, et sa pratique engagée contre l'horreur
collective en la disant, jusqu'à l'inommable - jusqu'à le rencontrer : où il
défigure et tue avec acharnement pour déformer le sens puis faire
disparaître ; et par là édifiant comme mythe ce qu'il détruit.

D'où le no man's land du lieu de l'assassinat même, ressortant durant le
débat qui suit l'émission : ce lieu d'abord terrain vague en décharge
d'ordures, puis lieu demandé par les puissants, transformé en mausolée -
dit-elle à juste titre (Marie-Antoinette) mais l'autre qui lui répond, la
Betti, elle avait raison de vouloir à tout prix un enterrement communiste
contre l'oubli, pour éviter que l'accomplissement du refoulé, qui présida au
passage à l'acte de la haine, ne se fasse oublier en même temps que sa
victime - mais monument lui-même martélé (c'est une tradition
irréductible)... Alors, quoi de plus respectable enfin, qu'un terrain de jeu
paysager pour les enfants ? C'est donc exactement non pas étrange, ni même
ironique, mais bien exactement dans un régime semblable que se règle l'
horreur des lignées tragiques représentant le mythe, dans l'ordre de la cité
en devenir - les enfants qui jouent sur les tombeaux ne sont-ils pas l'image
même du devenir autrement ? Et le choeur c'est elle, Laura qui dit le
prologue et les leit-motiv ; et les autres, Clementi disant l'hubris, la
grenouille qui dit la chair et sa mise en pièces, (évidemment on pense à
Dionysos ; mais si son coeur fut sauvé, celui de Pasolini fut éclaté), le
journaliste italien, tous - même Moravia - qui jouent la partition...

La sélection des archives et des interviewes par le producteur-auteur et son
attention aux différents timbres de voix, comme partie intégrale du sens
élaboré fragment par fragment, en progrès dramaturgique, tandis que le
réalisateur les actualise plutôt sans ambiance, a fortiori sans ambiance
historique datée, plutôt une hyperactualisation qui les rend à la fois hors
du temps, et cependant parmi nous, éléments de modelés dans le bas-relief
musical (je dis bas-relief à cause du récit - et ça c'est Guibert : il y a
un commencement et il y a une fin dans l'ordre fragmentaire qu'il a choisi,
c'est celui du sens qu'il cherche en menant l'enquête, et qu'il voit
lui-même apparaître à écouter l'information, la rumeur, l'interprétation par
les voix qu'il convoque et auxquelles il nous donne d'assister en temps réel
de sa création documentaire, ce qui rend la chose captivante) les
différentes amplitudes, la musique non comme une pompe mais comme une
cérémonie post-mortem, environnement supplantant le principe des ambiances -
qui était au contraire le propre d'une autre sublime émission politique,
celle sur Jean Seberg. Eux, l'auteur et le réa : le coryphée.

Pasolini/ étrangement oui, sur lequel une nouvelle culture - qui n'est pas
du tout celle des gays même si les gays faisant silence à minuit ont
contribué en première place à l'édifier, mais celle d'une émergence poétique
de la critique radicale au-delà d'elle-même, pour la cité et plus forte que
le pouvoir lui-même - est un signe d'avenir fondé sur la dimension
symbolique d'un événement émergent, signifiant l'histoire de l'Italie - et
de l'Europe à ce tournant même : celui où les factieux commencent à faire
tuer à la marge avant de finir par confisquer les libertés ordinaires, sans
encourir de protestation dans un environnement de confort consommable.

Demiurge et poète organique, mais contemporain antagoniste (alors que celui
de Gramsci était harmonieux, dit ensuite D. G., après l'écoute) intégré en
son être même comme événement de l'oeuvre en étant. Il faut penser qu'il est
l'homme dehors et dedans tous ses sujets, (comme ses propres regards caméra
le disent dans ses films me faisait remarquer Simon Guibert lors de l'
interview) comme les artistes du Body art depuis leur intimisme (Gina Pane
commence à la même époque), lui plus largement au-delà de lui, comme citoyen
voyant dans sa propre intuition de l'histoire, qu'il a éprouvée en temps
réel de sa vie depuis sa jeunesse. Pasolini est donc contemporain en ceci :
démiurge "organique" - agi par son expérience de vie même, comme oeuvre
même.

Et je le dis sans parti pris parce que l'esprit critique me vient toujours
sans concession à propos des amis ou des proches : je suis restée
stupéfaite, pétrifiée sur place, (interrompant toute activité alors que j'
avais l'intention d'écouter l'émission tout en poursuivant)... Epouvantée,
aussi par la signification terrible que tout cela laisse à notre propre
temps au-delà. Tout ce qui a été trop loin, tout ce qui a été perdu
depuis...
Je re-pense à Clementi que je ne m'attendais pas à entendre là, ce qu'il a
donné de lui, sa part maudite en consummation, et le disant avec cette voix
douce, comme sachant sa propre disparition déjà, autrement...

Quant à Alexandre Héraud le coordinateur de la série : salut d'avoir
défendu - pris le risque convaincu - le principe que cette émission puisse
exister sans honte dans toute sa réalité émotionnelle et politique, et dans
sa libre beauté. "Le Vif du sujet, autopsie d'un fait divers".

Guibert Simon le producteur (on nomme ainsi les auteurs à la radio et à la
télévision) : pas de hors sujet ; mieux, il trouve que dans le cas de
Pasolini - ce que l'on entendrait soudain à écouter l'émission en direct -
ce serait donc en quoi la scène de ce fait divers et son cadre mêmes
installaient l'évocation de toute l'oeuvre et de l'importance collective de
l'homme d'idées défiguré.

Le mot clé du sens de Pasolini non seulement son oeuvre mais sa postérité
oui, c'était donc bien sa mort, cette mort là sans fard, à l'acte même sous
lequel on voulait la communiquer, la pensant contre l'idée morale
représentative de l'artiste engagé (mais l'idée faisant partie de la
dérobade chez l'artiste, c'était peine perdue pour les meurtriers) ; mort
terrible, locale et internationale et globalement ce qui y succéda,
tristement fondatrice.

De sorte que c'est non seulement une des plus belles émissions de Guibert et
de Croizier pour Le vif du sujet, mais aussi une des plus signifiantes de la
pertinence symbolique de la série imaginée par Héraud. Où se configurent les
trois dimensions du registre anthropologique terrestre informé par Lacan,
parce qu'il s'agit en Pasolini d'un homme d'oeuvre engagé dans son temps de
toutes ses idées et de tout son corps - et donc un corps vivant du temps
lui-même : réel, symbolique, imaginaire.

Le rôle social critique et l'ampleur culturelle sur le fonds, de Pasolini,
prennent forme dans sa mort même telle que l'émission l'actualise, et jusque
dans ses ambiguités : personne n'est dupe que la répétition de l'évocation
des agresseurs avec un fort accent du Sud, dont un bouclé avec barbe, ne
soient des masques grossiers des véritables agresseurs, et surement pas avec
un accent du Sud s'il s'agît du MSI, dans l'interview "commandée" de l'
assassin en mai 2005 ; mais en même temps, cette interview ne donne en rien
à douter sur le fait que le disant ne fut pas seul...

Ce qui fonde toute son oeuvre non pas comme une mythologie - disait l'
nvité - mais comme un mythe contemporain en soi installé par l'horreur de sa
mort elle-même - disais-je au début -. Voici la boucle refermée.

Or ceci, je n'aurais pu le concevoir de cette façon avant d'avoir entendu l'
émission puis le débat et par conséquent de comprendre, a posteriori, en
quoi le conducteur de l'émission et sa forme sonore étaient à ce point forts
sur le plan d'une culture commune - la constituant en temps réel de notre
écoute.

Pasolini, comme disait l'auteur mondain de son abécédaire (je ne sais plus
si c'est le "bon" mot), on n'a pas fini d'en parler et d'abord au défaut d'
une autre remarque de ce nouveau biographe, il faut bien dire qu'Elle a
réussi son coup de Betti : non seulement il n'est pas oublié mais le lieu
même où il est mort n'est-il pas devenu un lieu de vie ?

La célébrité poético-politique y compris son engagement posthume arrivent
par des détours imprévisibles et comme d'habitude, sur des malentendus.
Est-ce à dire que la conscience générale plus largement reviendra par un
détour inconnu ?

Ciao !
Louise

PS / Bravo aussi aux archivistes de l'INA qui savent si bien répondre à la
façon de la requête, et à France-culture qui a assumé cette très honorable
intensité - et beauté radiophonique.

Plus que du talent, à eux tous : du génie ! On croit que tout est fini puis
on croit à demain.

Vive l'information créative : vive le service public - libre ! (et si on ne
savait pas pourquoi ni à quoi ça sert ni pourquoi le défendre encore et
toujours, et bien, en voici une preuve singulière).



* Rappel du lien de l'émission, documentaire et débat, toujours en ligne sur
Internet (pour le détail, voir au début de l'article)

http://www.radiofrance.fr/chaines/f...

Il y a moyen de laisser un mot en cliquant sur "contact" (ou écrire - je ne
sais plus) et en précisant le titre de l'émission en sujet de votre post. En
effet, beaucoup d'insultes ont été reçues et d'attaques franchement
inquiétantes, tant en matière politique que relatives à l'homosexualité.
Aussi, si vous trouvez l'émission intéressante, n'hésitez pas à soutenir un
des derniers cailloux de liberté sur une chaine de la radio nationale
française, encore publique... Merci d'avance.

www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vifdusujet/





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