[spectre] Hommage à Jean-Paul Dollé / Tribute to Jean-Paul Dollé

Louise Desrenards louise.desrenards at free.fr
Wed May 4 03:54:24 CEST 2011


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HOMMAGE À JEAN-PAUL DOLLÉ

(à suivre)



Hommage à Jean-Paul Dollé : 4. L’Inhabitable capital. VIII. Nihilisme
et maladie - IX. Les deux nihilismes.
Extrait intégral de deux chapitres in extenso du dernier ouvrage de
Jean-Paul Dollé aux éditions Lignes (mars 2010)

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1986



" L’Inhabitable capital " est un jeu de mot grinçant à tous les titres
du dernier essai publié par Jean-Paul Dollé, en mars 2010, aux
Nouvelles éditions Lignes. L'ouvrage kénotique d'un philosophe
activiste si bon vivant qu'il ne chercha pas la réalisation de sa joie
dans le luxe est peut-être un testament. Le texte informe
particulièrement l’actualité philosophique critique de la fin des
sociétés de l’économie politique, et critique de l'absence de rapport
du capitalisme à l’existence, mais encore critique du réformisme et
des expériences participatives, et peut-être même autocritique, tandis
qu'il restitue un bilan désastreux de la citoyenneté post-politique
dans la "citadinité" -- concept extrait du livre -- contemporaine.

Sa pensée a ceci de particulier que sa spécialité appliquée au champ
urbain touche au fonds symbolique de la politique et sans s’adonner au
détail des œuvres traditionnelles contenues en référence elle
constitue une critique des philosophies qui raisonnent la vie et
l’événement en termes d’abstraction, de la métaphysique aux
philosophies de l’engagement, qu’elles soient ou non matérialistes, et
plus encore, s’agissant de l’engagement politique, des partis
parlementaires eux-mêmes. Dans une brève mais précise recension de la
philosophie moderne et de l’esthétique, qui implique la perte de
l’esthétique, au contact du matérialisme historique de l’exploitation,
de la propriété, de l’expropriation, de la production et des luttes,
Jean-Paul Dollé innove une pensée matérialiste non-nihiliste de
l’agonie, donnant forme à une philosophie politique émergente de son
interprétation à propos des "sans nom" dans les Thèses sur une
philosophie de l’Histoire [*] de Walter Benjamin, — dernière œuvre à
vocation d’être publiée dont l’auteur sur la route de l’Espagne aurait
lui-même remis à Georges Bataille la version déposée ensuite à la
Bibliothèque nationale.

Dollé expérimente une pensée existentielle de l’après immédiat que
nous traversons. Pour que la conscience post-politique de la
communauté advienne en existence partagée dans le monde symboliquement
et matériellement exproprié par le capital, il faut que l’existence
individuelle elle-même ait lieu contre ce qui l’annihile. Peut-être
est-ce depuis la connaissance de la pensée psychanalytique, disant le
rôle de l’intégrité narcissique dans la structure d’autonomie de la
personnalité, si le matérialisme de Jean-Paul Dollé éclaire en même
temps le concept philosophique de propriété, tel qu’il est traduit
sans le moindre doute possible comme une base des droits de l’homme et
du citoyen contenus dans la constitution française de 1793 (celle
habilitant l'insoumission), mais que l’idéologie utopiste ou partisane
du communisme l’attribuant systématiquement par malentendu à
l’expropriation a souvent ignorée ou révisée, à l’enseigne de l’adage
de Proudhon, un siècle plus tard, en plein développement du
capitalisme de l’industrie : "La propriété c’est le vol".

"Face au nihilisme intégral, une seule solution s’impose pour que la
vie continue et l’existence soit sauvegardée : la lutte pour détruire
ce qui détruit, pour annihiler ce qui annihile". Cette conclusion de
l’ouvrage — qui traverse magistralement sans en faire tapage la fin de
la philosophie et de l’histoire modernes, du progrès social associé au
développement des forces productives, de la production industrielle,
de la reproductibilité et du développement techniques en projet (après
la diversité le désert), des institutions et de leurs réformes (en
excès pataphysique de l’épuisement des possibles), à l’aune de
l’avènement du capitalisme abstrait dans la phase financière qui le
réalise totalement, — face au réalisme de l’existence défaite, suggère
un mot d’ordre insurrectionnel.

Mais qu’est-ce que le nihilisme principalement référé à Nietzsche ? Au
moment où le dernier livre de Belhaj Kacem ouvre un débat violent sous
le titre éponyme Après Badiou (chez Grasset), on voit avec l’ouvrage
de Dollé, paru un an auparavant, s’ouvrir une anthropologie
matérialiste de l’engagement, critique de l’acédie [**] intellectuelle
aussi bien que sociale, institutionnelle et politique, et critique de
leur topologie urbaine de nos jours réductible à l’exclusion de
l’existence — qu’elle empêche l’optimisation du capital ou qu’elle n’y
contribue pas, — humanité forcément livrée à un environnement hideux
puisqu’innommable (pas dans le sens qui ne conviendrait pas à
l’esthétique, laquelle d’ailleurs n’était pas la préoccupation de
Nietzsche, quoiqu’il admit la question de l’implication collective de
la disparition du beau). Ce qui vaut pour l’habité urbain vaut pour
tout habité de la pratique sociale comme de la pensée. La phase
d’expropriation systématique du concret en toutes choses est la phase
3 du pouvoir sans entrave du développement du capital, après la phase
1, celle de la domination comme agent premier de l’expropriation,
suivie de la phase 2, le contrôle des énergies libérées au termes des
luttes (consommation, circulation des marchandises et communication
inclus). Est-ce à dire que l’abstraction moderne de la pensée
matérialiste de Badiou pourrait être considérée, à l’instar de l’idéal
chez Baudelaire dans le contexte capitaliste du XIXè siècle, comme une
dialectique réductible à la réalisation du capitalisme abstrait, mais,
dans le contexte post-politique succédant à l’économie politique
fut-elle la critique de l’économie politique, advenant au contraire en
mimétique, la dialectique elle-même étant expropriée du monde ?

Les deux chapitres que nous avons choisi de publier in extenso
installent une dépréciation qu’il convient de découvrir pour
comprendre la conclusion (les chapitres X et XI et particulièrement le
X à propos de la reproductibilité technique où la critique de la
modernité sociale de la politique de la culture recense les
conceptions de l’art en multiple et son impact, de Benjamin à
Malraux).

Outre sa clarté sur le monde qui s’est défait, ce monde que Jean-Paul
Dollé a bien connu pour s’y être particulièrement impliqué, comme
penseur et activiste politique puis comme pédagogue et chercheur
associé à des projets institutionnels urbains/sociaux, pragmatiques et
ouverts, dont Banlieue 89, celui-ci à l’issue de sa propre expérience
qu’il lègue à l’expérience en commun revient après-tout pour
l’affronter une dernière fois, et d’après lui de la seule façon
possible pour exister, dans une visée loin des compromis participatifs
et des abstractions valorisées du monde ainsi divisé — capital
exclusif et monde exclu.
Tout pour le jeu exponentiel de l’argent à distance du monde vivant ;
comme le faisait remarquer Jean Baudrillard, un jour de discussion
amicale à propos de la constitution européenne : " Ils [ les
capitalistes ? ] ont tout sacrifié au capital. Que reste-t-il à
sacrifier face à ça ? Là est la question ! [ la question réversible de
la révolution ] ".

Dans le livre de Jean-Paul Dollé nous suivons l’amorce d’une réponse
singulière et bien sûr non représentée (si elle l’était nous
régresserions à l’avant-garde — révolue avec la révocation du
politique) mais à poursuivre d’inventer, critique de la violence
fatale de la mort des vies nues, — le radicalisme de Jean-Paul Dollé
nous épargne justement du pathos mortifère d’Agamben, — révélant la
violence destructrice du matérialisme abstrait de l’existence, où le
bio-pouvoir fait son nid "naturel" après la destruction sociale du
symbolique. La société, en tant qu’exclus — et au bout du compte les
riches comme les pauvres mais les riches disposent au moins d’un
recours confortable — voués à l’orbital, néanmoins ne serait pas vouée
qu’aux algorithmes programmés ou programmant la disparition sociale
sans retour. L’individu existentiel est symbolique de l’humanité,
qu’il soit vivant ou mort tant que sa pensée de la révolte existe il
demeure insondable. Rien à voir avec les raisons heideggeriennes de
s’opposer à l’architecture moderne et de ne pas concevoir l’urbain
comme un espace social et multiculturel mais comme un lieu régional
(habiter), au contraire la pensée politique de l’habiter chez
Jean-Paul Dollé combat cette vision et même cette herméneutique, en
cohérence de son attaque frontale dans la contribution donnée à
l’ouvrage collectif Le philosophe chez l’architecte (Descartes & Cie,
1996), sous le titre "La cité et les barbares".

Synchrones avec la défaite laissant place à un matérialisme
post-historique intégré d’un au-delà de la théologie, le rythme et la
fluidité de la composition plutôt que le style lui-même constituent la
beauté du dernier ouvrage de Jean Paul Dollé, et une énigme de
l’essai, peut-être le pressentiment de sa propre mort et la question
posthume, mais d’abord l’énigme révolutionnaire.
(A. G-C. pour La RdR)


* Sur la référence précise aux Thèses sur une philosophie de
l’Histoire de Walter Benjamin, dans le dernier ouvrage de Jean-Paul
Dollé, lire l’hommage par Bruno Queysanne prononcé lors du vernissage
de l’exposition commémorative dédiée au philosophe par l’ENSA de
Paris-La Villette le 25 mars, et publié dans La revue des ressources
le 28 avril 2011.

** acédie, Ibid.



Hommage à Jean-Paul Dollé : 4. L’Inhabitable capital. VIII. Nihilisme
et maladie - IX. Les deux nihilismes.
Jean-Paul Dollé
http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1986

Hommage à Jean-Paul Dollé : 3. Entrevue sur l'institution. La parole errante.
Stéphane Gatti
http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1983

Hommage à Jean-Paul Dollé : 2. Le singulier et le pluriel. Paris mai.
Hélène Bleskine
http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1982

Hommage à Jean-Paul Dollé : 1. De l’acédie. Du soin qu’on donne à un mort.
Bruno Queysanne
http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1979



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