[spectre] The Scandal of Notre-Dame / Le scandale de Notre-Dame

Louise Desrenards louise.desrenards at free.fr
Thu Oct 28 05:09:49 CEST 2010


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Le premier happening des avant-gardes révolutionnaires de
"l’après-guerre" a probablement lieu il y a soixante ans, à Paris, le
9 avril 1950. C’est le jour de Pâques, pendant la grand messe
célébrant la résurrection du Christ avec une assemblée internationale
de dix mille personnes (dit-on) à Notre-Dame. Le lettriste actioniste
Michel Mourre, qui vient de passer un an chez les dominicains, a
revêtu cet uniforme (tunique blanche serrée par une ceinture de cuir,
scapulaire sur les épaules, capuce, et chaussures noires) et
accompagné par son camarade Serge Berna, avec Ghislain Desnoyers de
Marbaix et Jean Rullie, pour leur tenir lieu de gardes du corps, il
entre dans la cathédrale. Puis il monte en chaire, et prononce
l’homélie nietzschéenne, spécialement écrite avec Berna pour la
circonstance (le matin même), proclamant que Dieu est mort. C’est le
"Scandale de Notre Dame"...

Tous sont arrêtés puis relâchés, à l’exception de Michel Mourre qui se
retrouve en psychiatrie, mais il est libéré dès le 21 avril. Presque
dix ans plus tard, en 1959, le projet de Henri de Béarn et d’Ivan
Chtcheglov — isolé par Debord quoique celui-ci apparemment ne puisse
se passer de cette inspiration poétique visionnaire, avant comme après
leur compagnonnage de dérive, — de dynamiter la Tour Eiffel, vaut à ce
dernier d’être interné (non pas à la requête de la police mais de sa
compagne craignant le passage à l’acte de la violence). À voir la Tour
debout on sait qu’Henri de Béarn pourtant resté libre ne donna pas
suite à l’"attentat poétique". Quant à Ivan Chtchegloff (pouvant
s’orthographier avec un "v" en place des deux "f"), il n’en sortira
qu’en 1964 complètement brisé, malgré une psychanalyse avec un
thérapeute attentif pour tenter une reconstruction (en partie
effective), après les traitements psychiatriques les plus violents
reçus pendant les premières années d’hospitalisation... et
probablement fragilisé par le renouvellement du malentendu affectif
lié au rapport de pouvoir de Debord qui cherche à réinstaller un lien.

Car Debord apprenant que Chtcheglov toujours hospitalisé recommence à
écrire, en l’occurrence son auto-biographie parvenue à un stade déjà
avancé, reprend contact avec lui sous couvert d’entraide exprimée, au
début des années 60. C’est deux ans après la création du premier
numéro de l’Internationale situationniste (juin 1958), où sous le
pseudonyme Gilles Ivain pour Chtcheglov, comme au temps Lettriste,
Debord sans avoir consulté l’auteur depuis 1956 ni renoué avec lui
(alors qu’il est encore en liberté), a publié le Formulaire pour un
urbanisme nouveau, écrit en 1952 et 1953, peu avant que Chtcheglov ne
soit exclu de la fondation de la revue de l’Internationale Lettriste,
(contre le Lettrisme d’Isidore Isou), que pourtant il a contribué à
inspirer au premier plan. Loin de prendre pour un hommage sa
publication dans le n°1 de l’Internationale situationniste Chtcheglov
en serait tombé furieux... Le bulletin de l’IL, "Potlatch" (1954-1957)
* présentait déjà de nombreuses traces de Chtchegloff sous des
signatures collectives. Ainsi, le doublement exclu contribue encore en
ellipse de sa première exclusion à inspirer en son absence la
fondation et les premiers numéros de L’Internationale Situationniste.

Soudain Chtcheglov encore interné en 1962-63, soit dix ans après
l’écriture du Formulaire, interrompt son auto-biographie au moment où
elle parvenait à l’évocation de sa relation avec Debord et de leur
rupture... L’évocation nécessaire n’aura jamais lieu, puisque durant
ces retrouvailles par lettres Chtchegloff passe à revivre le
traumatisme d’avoir été exclu de ses propres créations, et cherche à
réécrire sans fin des modifications du Formulaire, pour le faire
re-publier, cette fois en tout consentement délibéré de sa part, dans
l’Internationale situationniste (ce qui bien sûr n’aura jamais lieu
davantage de la part de Debord).

La psychiatrie aurait-elle eu raison de lui, lorsqu’il répond par
exemple à Debord dans ses "Lettres de loin" sur l’annonce de la
poursuite des exclusions (pratique radicalisée imitée de la gestion
ultime du surréalisme par André Breton) qu’il faudrait arrêter d’en
faire, mais ajoutant avec résignation qu’elles font sans doute partie
de la mythologie du situationnisme ? Il reste que la dernière lettre
de Debord connue pour répondre à une proposition de rendez-vous de
Chtcheglov après sa sortie de l’hôpital, en 1964, en lui proposant une
rencontre dans un café et sous certaines conditions remontant à une
position commune de 1956, ne soit ni avisée, ni bienveillante, ni même
respectable tant elle traduit d’aveuglement égocentré auprès d’une
personne accablée par sa vie passée et par les thérapies... Comment
après ses épreuves aurait-il pu sans retour de folie survivre à un tel
pouvoir, dont le défi aurait du passer par retrouver l’épreuve de
l’alcool — le grand défi de Debord avec la désaffection de la
camaraderie au nom de la pureté de la théorie, telle l’épreuve imposée
du vol de livres dans les bibliothèques de ses propres amis et les
vendre — en attendant de renouer avec les autres drogues (dont Debord
se protège) ? Exclusions dont la sensibilité éclatée de Chtcheglov
souffre dans sa propre structure, confrontée à ce qui est peut-être
d’un pervers en outre d’un génie transformant le penseur poétique,
concurrent symboliquement inégalable, en victime masochiste ou naïve,
soumise par l’effet des machines sadienne et/ou stalinienne... On
connaît l’histoire entre Hölderlin et Hegel, ce dernier piètre poète
ayant pris sa revanche contre la poésie en déclarant que la
philosophie moderne arraisonnerait toute la pensée...

Par là il est possible de remettre en cause les conclusions quelque
peu expéditives des biographes sur la folie constitutionnelle de
Chtcheglov, (voir deux ouvrages aux éditions Allia **), peut-être
depuis une fascination pour Debord (notamment de la part de Donné), et
endossant une hypothèse légitime de la bienveillance par Michèle
Bernstein, alors partenaire de Debord et témoin actuel survivant de
cette époque, bien que ces deux biographes aient fait un travail de
recension indispensable et sans concurrence pour contribuer à cet
auteur... L'hypothèse vraisemblable est que Chtcheglov ait renoncé se
sachant fragile et ne voulant pas risquer un nouvel internement. Pour
Debord, incontestablement haut stratège méta-politique, mais prédateur
des poètes quoiqu’il les défia d’aller à leurs sublimes extrêmes, il
fut glorieux de déclarer plus tard supervisant le tout à propos de
performances sociales à hauts risques dans lesquelles il ne s’était
pas directement investi, ni dans la conception ni dans l’action, qu’«
achever l’art, aller dire en pleine cathédrale que Dieu était mort,
entreprendre de faire sauter la tour Eiffel, tels furent les petits
scandales auxquels se livrèrent sporadiquement ceux dont la manière de
vivre fut en permanence un si grand scandale. » In girum imus nocte et
consumimur igni. (Voir une interprétation nuancée dans le site marxism
wikibis).

Guy-Ernest Debord ne crée d’oeuvre majeure qu’après ses compagnons :
La société du spectacle, 1967, un livre génial quoique sans après
possible de ce qu’il attribue à tout le monde (et d’ailleurs l’auteur
même qui avait touché le cinéma après Isou revient au cinéma après
Godard), quand la revue elle-même ne paraît plus (elle ne réapparaîtra
qu’à titre spectral après 1968, alors que les éditions pirates de
l’intégrale, à la couverture d’argent, ont déjà célébré sa disparition
depuis l’université de Vincennes, dès la fin de 1968)... Ce qu’il
advient ensuite de sa pensée n’est pas si passionnant pour les autres
qu’on voudrait le faire croire. Tandis qu’un météore tombait sur
Manchester gravant d’acide contre Thatcher le mur délirant du club
FAC51 de Factory Records en liesse : "The hacienda must be buillt"...
(1982-1997). A. G-C.


LIRE L'ADRESSE DE NOTRE-DAME DE MICHEL MOURRE ET SERGE BERNA
  @ http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1769



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